mardi 12 février 2013

Bourse et hasard












 












  • Imprimer l'article



    La théorie de la marche aléatoire en question

    La validité de la théorie de la marche aléatoire est désormais remise en question, des études montrant que les taux de rendement hebdomadaires sont, dans une certaine mesure, prévisibles pour les actions cotées aux Etats-Unis.

    Un investisseur qui aurait placé 1 dollar dans des bons du Trésor américains à un mois - l'un des placements les moins risqués au monde - en janvier 1926 et qui aurait utilisé le prix de remboursement pour acquérir de nouveaux bons et ainsi de suite, mois par mois, jusqu'en décembre 1996, disposerait à cette date d'un portefeuille d'une valeur de 14 dollars.

    Supposons, en revanche, que, au lieu d'acquérir des bons du Trésor, l'investisseur ait placé son dollar dans l'indice S&P 500 et continué à investir le produit de son placement dans ce portefeuille diversifié mois par mois sur cette même période : au 31 décembre 1996, il posséderait un portefeuille d'une valeur de 1.370 dollars, soit près de 100 fois plus.

    Enfin, imaginons que, chaque mois, un investisseur ait pu deviner lequel de ces deux placements générerait le taux de rendement le plus élevé au cours du mois en question et qu'il ait utilisé ce don de divination pour passer d'un support à l'autre afin de faire fructifier au mieux son placement.

    A combien s'élèverait le portefeuille de l'investisseur « devin » après 71 ans ? La réponse - 2.303.981.824 dollars (vous avez bien lu, plus de 2 milliards de dollars) - a de quoi surprendre même les gestionnaires de portefeuille les plus expérimentés.

    Les investisseurs bénéficiant d'un tel don sont extrêmement rares, mais, heureusement, même en étant moins versé dans les arts divinatoires, il est possible de très bien faire fructifier son argent. Entre ces deux extrêmes, 2.303.981.824 dollars et 1.370 dollars, il y a de la place pour l'investisseur averti.

    Dans le monde entier, les investisseurs s'interrogent sur la possibilité de prédire certains éléments influant sur le cours des actions. Dans cet article, nous présentons les récents constats sur ce sujet, qui tendent à démontrer que la célèbre théorie de la marche aléatoire - selon laquelle les cours boursiers constituent l'exemple parfait d'un comportement totalement imprévisible - n'est pas valable pour les actions cotées aux Etats-Unis.

    Cette hypothèse remonte au XVIe siècle, mais les méthodes statistiques modernes et le développement d'ordinateurs très puissants ont permis d'étudier ce modèle sous un autre angle. Nous présentons notamment certaines conclusions empiriques relatives aux indices boursiers américains qui permettent d'affirmer qu'il est possible de prédire avec précision l'évolution des marchés boursiers à court terme.

    Un véritable défi

    Peut-être en raison de l'analogie apparente (et quelque peu trompeuse) entre les activités de placement et les jeux du hasard, les modèles mathématiques portant sur le prix des actifs financiers existent depuis très longtemps ; ils sont même antérieurs à la grande majorité des autres éléments de l'analyse économique.

    Le grand nombre de mathématiciens et de scientifiques renommés qui ont mis leurs compétences au service de la prévision des cours des titres et des matières premières témoigne de la fascination exercée par cette question dont la résolution constitue un véritable défi. En effet, la théorie financière moderne trouve ses origines dans les premières tentatives de « battre le marché », un défi qui continue à susciter beaucoup d'intérêt. Cette question a non seulement fait couler beaucoup d'encre, mais également animé de nombreuses conférences et dîners mondains.

    La théorie de la marche aléatoire, qui pose le principe de l'impossibilité de prédire l'évolution future des cours à partir des comportements historiques, constitue sans doute la première étude rationnelle de l'évolution des cours. Ainsi, selon cette théorie, le fait que la performance du titre ABC au cours du mois dernier ait été médiocre ne signifie pas qu'elle sera mauvaise pendant le mois en cours ou tout autre mois à venir.

    A cet égard, l'hypothèse peut être comparée au jeu de pile ou face. Ce n'est pas parce que celui qui a choisi « face » gagne la première fois, voire cinq fois de suite, qu'il gagnera la fois suivante. En bref, le taux de rendement historique n'est pas un indicateur du rendement futur.

    Développée à l'origine à partir de considérations économiques rudimentaires fondées sur le principe du jeu équitable, la théorie de la marche aléatoire a été validée par les conclusions empiriques des premières études réalisées au cours des années 60 et 70. En effet, ces études, dont la plupart étaient basées sur une analyse des taux de rendement quotidiens ou mensuels d'un échantillon de titres, ont confirmé le caractère imprévisible des taux de rendement.

    Toutefois, certaines études que nous avons réalisées récemment remettent fortement en question ces conclusions. C'est ainsi qu'une comparaison statistique de la volatilité sur plusieurs durées de placement différentes appliquée aux taux de rendement hebdomadaires d'un portefeuille de titres sur la période de 1962 à 1994 permet de conclure à l'invalidité de la théorie de la marche aléatoire, et ce avec un résultat statistique très élevé (supérieur à 99,9 %).

    En effet, les taux de rendement hebdomadaires d'un portefeuille investi à parts égales, en termes de valeur, dans chacun des titres négociés sur le New York Stock Exchange et l'American Stock Exchange (« un portefeuille à pondération égale ») sont très étroitement corrélés d'une semaine à l'autre, avec un « coefficient d'auto-corrélation » de 20 %. Le coefficient de corrélation est un indice d'association se situant dans la fourchette - 100 % à 100 %, où - 100 % correspond à une corrélation négative parfaite, 100 % à une corrélation positive parfaite et 0 à une corrélation nulle.

    Un coefficient d'auto-corrélation de 20 % signifie, a priori, qu'environ 4 % de la variance du taux de rendement de la semaine à venir s'explique par le taux de rendement de la semaine en cours. Un portefeuille à pondération égale composé uniquement de « petites » capitalisations boursières (titres figurant dans les derniers 20 %) affiche un coefficient de corrélation de 35 % sur la période de 1962 à 1994. Cela signifie, a priori, qu'environ 10 % de la variance du taux de rendement de la semaine à venir s'explique par le taux de rendement de la semaine en cours. Des chiffres de l'ordre de 4 % ou de 10 % peuvent sembler peu élevés, mais, sachant qu'un niveau de prévisibilité de 100 % permettrait d'obtenir un taux de rendement astronomique - comme nous l'avons vu plus haut -, les rendements obtenus avec des taux de prévisibilité nettement inférieurs peuvent tout de même être très intéressants.

    Ces conclusions peuvent surprendre beaucoup d'économistes, parce que la remise en cause de la théorie de la marche aléatoire signifie, a priori, que l'évolution des cours est dans une certaine mesure prévisible. Il convient de rappeler, cependant, que les prévisions d'évolution des cours étant également soumises à des fluctuations au hasard, ce n'est pas parce que de telles prévisions sont possibles que des bénéfices pourront automatiquement être réalisés sans prendre de risque.

    Néanmoins, les économistes ne parviennent toujours pas à expliquer de façon totalement satisfaisante pourquoi les taux de rendement hebdomadaires ne correspondent pas aux résultats d'un « jeu équitable ».

    Deux autres éléments rendent ce casse-tête encore plus difficile à résoudre. D'une part, les taux de rendement hebdomadaires d'un portefeuille font état d'une corrélation positive importante, tandis que ceux de chacun des titres composant le portefeuille n'ont pas cette caractéristique. Au contraire, la corrélation moyenne - calculée en retenant la corrélation de chaque titre du portefeuille - est très légèrement négative.

    D'autre part, le caractère prévisible des taux de rendement hebdomadaires dépend, dans une assez large mesure, de la durée de détention : la corrélation est fortement positive en ce qui concerne les taux de rendement quotidiens et hebdomadaires, mais pratiquement nulle pour les rendements sur des périodes d'un mois, d'un trimestre ou d'un an.

    Puisque l'auto-corrélation des taux de rendement d'un portefeuille correspond à la somme pondérée des auto-corrélations des titres qui le composent et de leurs « auto-corrélations croisées » (par exemple, à la corrélation entre le taux de rendement du titre A pour la semaine en cours et celui du titre B pour la semaine à venir), nous estimons que les auto-corrélations croisées permettent d'expliquer que le taux de rendement du portefeuille est prévisible, alors que celui des titres individuels ne l'est pas.

    Profits « à contre-courant »

    Nous avons notamment constaté que ces auto-corrélations croisées sont fortement positives et que les taux de rendement des plus fortes capitalisations boursières ont tendance à « tirer » ceux des capitalisations plus petites. Ainsi, en examinant les taux de rendement des plus fortes capitalisations pour la semaine en cours, il est possible de prédire ceux des capitalisations plus petites pour la semaine à venir, mais pas l'inverse.

    Puisque la corrélation des taux de rendement hebdomadaires des titres individuels est, en moyenne, légèrement négative, on peut conclure que la corrélation positive des taux de rendement hebdomadaires d'un portefeuille est entièrement imputable à cet effet d'entraînement.

    Cet effet d'entraînement est également une source importante de la rentabilité apparente des stratégies de placement à contre-courant, à savoir les stratégies selon lesquelles on achète des titres « perdants » et on vend des titres « gagnants ». Par exemple, supposons que seuls deux titres - A et B - sont cotés en Bourse et qu'il n'y a pas de corrélation entre leurs taux de rendement respectifs mais qu'ils affichent une auto-corrélation croisée fortement positive. Selon cette hypothèse, si le taux de rendement du titre A pour la semaine en cours est supérieur à celui du marché (ce dernier correspondant, dans notre exemple, à la moyenne des taux de rendement des titres A et B), l'investisseur qui suit une stratégie à contre-courant vendra le titre A et achètera le titre B. Cependant, si l'auto-corrélation croisée entre les titres A et B est positive, le fait que le titre A affiche un taux de rendement plus élevé pour la semaine en cours signifie que, la semaine prochaine, ce sera le titre B qui affichera la meilleure performance (en moyenne).

    Ainsi, l'investisseur agissant à contre-courant réalisera un bénéfice (en moyenne) en achetant le titre B. Bien que le rendement historique du titre A ne permette pas de prévoir son propre rendement futur, il donne une indication sur celui du titre B. Les stratégies de placement à contre-courant tirent parti, fortuitement, de cette prévisibilité croisée.

    Nos études démontrent que 50 % au moins des bénéfices attendus d'une stratégie spécifique à contre-courant résultent de l'effet d'entraînement. Les modèles économiques qui tentent d'expliquer l'auto-corrélation de 20 % dans les taux de rendement des portefeuilles doivent désormais en faire la démonstration en intégrant un mécanisme selon lequel les taux de rendement des petites capitalisations sont tirés par ceux des capitalisations plus importantes.

    Il convient de noter, cependant, que l'analyse des données ne suffit pas pour déterminer la façon dont ces différences se manifestent dans le comportement des taux de rendement. Nous avons démontré que, lorsque la recherche de faits empiriques est motivée par la découverte d'autres faits empiriques dans les mêmes données, cela peut conduire à des conclusions anormales qui relèvent plus de l'apparence que de la réalité.

    En outre, l'analyse de plus en plus poussée d'un ensemble de données conduit inévitablement à la découverte de nouvelles tendances qui sont a priori intéressantes, mais qui s'avèrent souvent trompeuses. Puisque les cours boursiers constituent, sans doute, les quantités économiques les plus étudiées à ce jour, les experts en économie financière doivent être particulièrement vigilants afin d'éviter que leurs conclusions ne soient faussées par un excès d'analyse. L'importance de la taille de la capitalisation boursière serait plus largement reconnue s'il existait un modèle d'équilibre économique dans lequel la corrélation entre la taille et le comportement des taux de rendement serait clairement articulée.

    L'explication la plus simple du caractère apparemment prévisible des taux de rendement réside peut-être dans une erreur d'évaluation à laquelle les données financières sont particulièrement exposées, appelée « problème des transactions peu fréquentes » ou bien « problème des transactions asynchrones ».

    Transactions asynchrones

    L'erreur survient lorsque les cours affichés à des moments différents sont considérés comme s'ils avaient été relevés de façon simultanée. Par exemple, les cours quotidiens publiés dans la presse financière correspondent généralement aux cours de clôture, à savoir le cours auquel la dernière transaction sur le titre en question a été traitée à la fin de la journée précédente.

    Si la dernière transaction sur le titre A a lieu à 14 heures et celle sur le titre B à 16 heures, le cours de clôture du titre B tiendra compte d'informations qui n'étaient pas encore disponibles lorsque le cours de clôture du titre A a été arrêté. Ce phénomène peut conduire à une prévisibilité trompeuse des taux de rendement, puisque les « chocs » touchant l'économie dans son ensemble auront un impact quasi immédiat sur le cours des titres pour lesquels les transactions sont les plus fréquentes, les cours des titres dont le marché est moins actif étant touchés avec un décalage.

    Même lorsqu'il n'y a pas de relation de cause à effet entre les titres A et B, il semblera exister une auto-corrélation croisée entre les taux de rendement calculés uniquement parce que ces taux seront considérés à tort comme ayant été calculés simultanément.

    Nous avons développé un modèle explicite de ce phénomène qui est capable de générer les effets d'entraînement déterminés en fonction de la taille des capitalisations boursières (puisque le marché pour les petites capitalisations est moins actif que celui des capitalisations plus importantes), ainsi que la corrélation positive des taux de rendement hebdomadaires des portefeuilles.

    A l'aide de ce modèle, nous pouvons évaluer le niveau implicite de transactions asynchrones dans les statistiques observées telles que, par exemple, les moyennes, les variances et les auto-corrélations. En partant des taux de rendement hebdomadaires d'un portefeuille, le volume de transactions peu fréquentes nécessaire pour obtenir un taux d'auto-corrélation de 20 % est peu vraisemblable sur le plan empirique, puisque, en moyenne, plusieurs jours devraient se passer sans la moindre transaction. Ainsi, alors que les transactions asynchrones sont éventuellement à l'origine d'une partie de l'auto-corrélation observée, elles ne l'expliquent pas en totalité.

    A l'inverse de l'auto-corrélation positive à court terme que nous avons observée, d'autres études couvrant la période de 1926 à 1994 mettent en évidence une corrélation en série négative des taux de rendement à long terme (sur des périodes de trois à cinq ans). Par exemple, le coefficient d'auto-corrélation des taux de rendement sur cinq ans d'un portefeuille à pondération égale investi sur cette période est de - 35 %.

    Ce constat a conduit de nombreux experts à conclure que des éléments prévisibles à long terme font que les cours s'écartent temporairement de la moyenne des rendements, puis se rapprochent progressivement de celle-ci. Rappelons qu'une corrélation négative signifie l'existence d'une relation inverse, à savoir qu'un taux de rendement élevé sur cinq ans sera généralement suivi d'un taux de rendement plus faible sur les cinq années suivantes (en moyenne), et vice versa.

    Certains autres experts sont, cependant, parvenus à des conclusions plus préoccupantes. En effet, ils estiment que les titres comportent moins de risques s'ils sont conservés à long terme et que tous les investisseurs, qu'ils soient jeunes ou moins jeunes, devraient donc placer une part plus importante de leur épargne sur le marché boursier. Pourtant, il existe de bonnes raisons de se méfier de telles conclusions, lorsqu'elles sont basées sur les taux de rendement à long terme.

    Première raison : l'étroitesse de l'échantillon. Sur la période de 1926 à 1994, il n'existe que 13 périodes durant lesquelles les taux de rendement sur cinq ans ne se chevauchent pas et, bien que le chevauchement des taux de rendement permette de tirer quelques enseignements supplémentaires, ceux-ci ne sont guère intéressants, comme le démontre une analyse statistique pointue.

    En effet, les coefficients d'auto-corrélation pour les taux de rendement sur cinq ans constituent, en règle générale, des mesures instables des corrélations réelles, notamment parce qu'ils subissent des distorsions importantes. En particulier, le coefficient d'auto-corrélation des taux de rendement sur cinq ans (- 35 %) est certes extrêmement élevé, mais, sur le plan statistique, les distorsions sont si importantes que l'on pourrait presque conclure à une absence d'auto-corrélation.

    En outre, une légère modification du point de départ de la période couverte par l'étude, ou l'application d'une pondération fondée sur la valeur plutôt qu'une pondération égale, a pour effet de réduire de façon importante le coefficient d'auto-corrélation négatif, voire de le transformer en un coefficient positif. Ces constats remettent sérieusement en cause la valeur des coefficients d'auto-corrélation des taux de rendement à long terme comme outil d'allocation d'actifs ou pour élaborer des règles définissant la composition optimale des portefeuilles.

    Bien entendu, il est possible que le manque de fiabilité des résultats empiriques traduise des faiblesses au niveau de nos outils statistiques. Après tout, des données couvrant une soixantaine d'années sont peut-être insuffisantes pour apprécier le comportement des rendements sur cinq ans, même si ces derniers sont, dans une certaine mesure, prévisibles.

    Pour distinguer les effets réels à long terme des effets illusoires, une meilleure approche consiste à mettre au point un modèle plus précis des rendements à court terme et d'en évaluer les implications sur les taux de rendement à plus long terme. Cette approche est examinée ci-dessous.

    Optimiser la prévisibilité

    Dans le cadre de nos études récentes, nous avons mis au point une méthode d'optimisation systématique et explicite de la prévisibilité des taux de rendement des actifs. Cette méthode consiste à constituer un portefeuille d'actifs dont les rendements sont statistiquement les plus faciles à prédire.

    Une telle optimisation explicite permet de mieux comprendre les résultats obtenus à l'aide de méthodes moins formalisées. Elle permet notamment d'aller beaucoup plus loin que le chercheur le plus assidu dans la recherche de facteurs de prévisibilité ayant un impact sur le comportement des portefeuilles. A ce titre, elle constitue un point de référence informel permettant d'apprécier les résultats obtenus à l'aide de diverses autres méthodes.

    Par exemple, nous avons affirmé que, sur la période de 1926 à 1994, environ 4 % de la variation des taux de rendement hebdomadaires d'un portefeuille à pondération égale de titres cotés aux Etats-Unis s'expliquait par les taux de rendement de la semaine précédente. Ce pourcentage doit-il être considéré comme important ou, au contraire, faible ? La réponse à cette question varie selon que le coefficient de prévisibilité maximal des taux de rendement hebdomadaires est de 5 % ou de 75 %.

    Enfin, l'optimisation de la prévisibilité permet surtout d'identifier des sources plus dispersées de persistance et de variation dans le temps des taux de rendement, liées à la pondération des actifs détenus dans le portefeuille offrant le meilleur niveau de prévisibilité, ainsi qu'à la sensibilité des pondérations à des facteurs de prévision spécifiques, tels que la production industrielle, le rendement des dividendes, etc.

    Un exemple primaire de ce type de dispersion est l'effet d'entraînement des fortes capitalisations sur les capitalisations plus petites évoqué plus haut. Le cadre plus général que nous avons mis au point intègre l'effet d'entraînement parmi les cas spécifiques, mais la prévisibilité est déterminée de façon explicite comme étant fonction de l'évolution dans le temps des primes de risques économiques et non pas uniquement des taux de rendement historiques.

    L'application de la procédure d'optimisation aux taux de rendement mensuels des actions et obligations sur la période de 1947 à 1994 permet de constater que le coefficient de prévisibilité peut être très nettement augmenté en procédant à une sélection des titres inclus dans le portefeuille et des durées de détention.

    Par exemple, en retenant 11 portefeuilles sectoriels, 53 % de la variance des taux de rendement annuels du portefeuille offrant le meilleur coefficient de prévisibilité s'expliquent par des facteurs économiques courants.

    Ce constat laisse à penser que des durées de prévision spécifiques devraient être retenues pour les divers secteurs et que des différences importantes existent quant à l'impact sur les cours des événements économiques, en fonction du secteur d'activité concerné.

    Conséquences pratiques

    Les conclusions de ces études récentes ont plusieurs conséquences pour les investisseurs privés et institutionnels.

    Le fait que la théorie de la marche aléatoire n'est pas valable en ce qui concerne les taux de rendement récents des actions cotées aux Etats-Unis laisse à penser que l'évolution des cours est, dans une certaine mesure, prévisible. Une gestion rigoureuse et active d'un portefeuille peut donc permettre d'obtenir des taux de rendement supérieurs à la moyenne.

    Ce type d'affirmation est contesté par les universitaires qui continuent de croire en la théorie de l'efficience des marchés, selon laquelle les cours tiennent compte de l'ensemble des informations disponibles et, en conséquence, la gestion active d'un portefeuille ne peut pas créer de la valeur ajoutée parce que les informations sur lesquelles une telle gestion serait fondée sont déjà reflétées dans le cours.

    Cet argument fallacieux fait penser à l'une des blagues préférées des économistes. Un économiste qui se promène dans la rue avec un ami tombe sur un billet de 100 dollars traînant dans le caniveau. L'ami se penche pour le ramasser, mais l'économiste lui dit : « Ne te fatigue pas, si c'était un vrai billet, quelqu'un l'aurait déjà ramassé. »

    Pour fournir un autre exemple - plus sérieux - visant à contrer cette illustration extrême de la théorie de l'efficience des marchés, appliquons-la à un marché non financier tel que celui des biotechnologies.

    Prenons, par exemple, l'objectif de la mise au point d'un vaccin contre le sida. Si tous les intervenants du marché des biotechnologies disposaient des mêmes informations - c'est-à-dire si la théorie de l'efficience des marchés était applicable à ce secteur -, il serait nécessaire de conclure à l'impossibilité de la mise au point d'un tel vaccin puisque, si tel n'était pas le cas, le vaccin serait déjà sur le marché.

    Bien entendu, cette présomption est ridicule parce qu'elle ne tient pas compte de la difficulté et du délai de gestation des travaux de recherche et de développement dans le domaine des biotechnologies. En outre, en supposant qu'un laboratoire pharmaceutique parvienne à mettre au point un tel vaccin, les bénéfices générés par ce produit atteindraient plusieurs milliards de dollars. Ces sommes seraient-elles considérées comme des bénéfices « excédentaires » ou bien comme la valeur économique des « redevances » générées par le brevet correspondant ?

    Les principes des marchés financiers ne sont pas différents de ceux des autres marchés. Ainsi, les bénéfices générés par la gestion active d'un portefeuille ne sont pas nécessairement le résultat du manque d'efficience du marché, puisqu'ils peuvent tout aussi bien représenter la rémunération d'une avancée dans le domaine de la technologie financière (à l'instar des « redevances » mentionnées ci-dessus).

    Après tout, peu d'analystes considéreraient les bénéfices très importants réalisés par Amgen au cours de ces dernières années comme la preuve du manque d'efficience du marché pharmaceutique. Au contraire, ils savent pertinemment que les bonnes performances récentes d'Amgen sont liées à la mise au point de plusieurs médicaments nouveaux (tels qu'Epogen, un médicament qui stimule la production de globules rouges dans le sang), dont certains constituent des innovations importantes dans le domaine des biotechnologies.

    De la même façon, dans un marché financier efficient, des innovations en matière de technologie financière peuvent générer des bénéfices considérables.

    Bien entendu, le marché financier est généralement plus facile d'accès, de sorte que la concurrence est plus vive. En outre, la plupart des technologies financières ne peuvent pas être protégées par des brevets (bien que cette situation soit appelée à évoluer). Ainsi, la « demi-vie » de la rentabilité d'une innovation financière est nettement plus courte.

    Compte tenu de ces caractéristiques, il est logique que les marchés financiers soient plus efficients que celui des biotechnologies, par exemple. Le marché secondaire des titres est nettement plus efficient que celui des voitures d'occasion. Cependant, il est tout aussi absurde de soutenir que l'efficience des marchés financiers doit être parfaite que d'affirmer que la mise au point d'un vaccin contre le sida est impossible. Dans un marché efficient, il est difficile mais pas impossible de gagner beaucoup d'argent.

    Néanmoins, il convient d'être prudent lors de l'évaluation des performances des gestionnaires qui procèdent à une gestion active de leurs portefeuilles et qui affirment, tous, être capables d'obtenir des taux de rendement élevés à un coût très faible. D'une part, les stratégies de gestion active comportent souvent des risques nettement plus importants que les stratégies passives, et les avantages et inconvénients ne se compensent pas toujours dans le temps. Il est notamment nécessaire de tenir compte du niveau de risque accepté par l'investisseur lorsqu'il s'agit de choisir la stratégie de placement à long terme qui permettra au mieux d'atteindre les objectifs de l'investisseur.

    Les limites des statistiques

    D'autre part, les investisseurs sont démarchés par de nombreux gestionnaires proposant des stratégies de gestion active, mais il est évident qu'ils ne parviendront pas tous à surperformer le marché. D'ailleurs, les investisseurs ne devraient pas nécessairement attendre du gestionnaire de leur portefeuille qu'il obtienne systématiquement de tels résultats. Bien qu'elles soient souvent mesurées par rapport à un indice de référence, tel que le S&P 500, les stratégies de gestion active peuvent comporter des niveaux de risque très différents dont il est nécessaire de tenir compte lors de l'évaluation des performances.

    Ainsi, la gestion active d'un portefeuille placé sur le marché du capital-risque devrait permettre de réaliser des performances supérieures à celles de l'indice S&P 500 et de façon plus régulière qu'une stratégie d'indexation optimisée, mais on ne peut pas dire pour autant que l'une est meilleure que l'autre.

    Les performances historiques ne doivent pas constituer l'unique critère d'appréciation des performances des gestionnaires. Contrairement aux sciences expérimentales, telles que la physique et la chimie, la finance - comme toutes les sciences sociales - fait essentiellement appel aux conclusions statistiques pour valider les théories. En conséquence, nous n'avons jamais la certitude qu'une stratégie de placement donnée réussira à tous les coups parce que la chance joue un rôle important même dans les stratégies les plus performantes.

    Les conclusions statistiques peuvent être d'une grande utilité, mais, en dernier lieu, la question porte non pas sur les statistiques, mais sur l'innovation économique et financière.

    Or, par quels moyens les gestionnaires appliquant des stratégies de gestion active obtiendraient-ils des performances supérieures à la moyenne et pourquoi les gestionnaires concurrents n'ont-ils pas identifié ces opportunités ? Les performances supérieures trouvent-elles leur origine dans des modèles mathématiques plus efficaces des marchés financiers ? Résultent-elles de l'utilisation de méthodes statistiques plus précises pour identifier les opportunités se présentant sur le marché ? S'expliquent-elles par une meilleure disponibilité de l'information sur un marché où des retards minimes peuvent conduire à réaliser une perte au lieu d'un bénéfice ?

    En cherchant à mieux comprendre les sources de la valeur ajoutée créée par les gestionnaires appliquant une stratégie de gestion active, au lieu de se pencher exclusivement sur les performances historiques, les chances de réaliser de façon régulière des taux de rendement supérieurs à ceux du marché se trouveront très nettement augmentées. *

    CRAIG MACKINLAY occupe la chaire de finance Joseph P. Wargrove de la Wharton School de l'université de Pennsylvanie.

    ANDREW W. LO occupe la chaire Harris & Harris Group de l'école Sloan du Massachusetts Institute of Technology. Il est également directeur du laboratoire d'ingénierie financière de l'institut.

    _____________________________________________________________________________
    TERACTION ENTRE LE RISQUE
    ET LE TEMPS
    Christian Gollier
    Professeur à l'université de Toulouse
    La théorie de la finance développée récemment permet d'offrir des recommandations de gestion dynamique des risques en accord avec les objectifs du preneur de risque et les représentations de son environnement. Son application la plus évidente concerne la gestion de portefeuille. Faut-il réduire la détention d'actions quand l'horizon temporel de l'investisseur se réduit ? Comment adapter le portefeuille aux signaux qui permettent de mieux prévoir les rendements des actions ? La problématique du risque et du temps se retrouve dans de nombreux autres domaines, comme la gestion des ressources environnementales ou le principe de précaution.
    Octobre. L'un des mois particulièrement dangereux pour investir en actions. Les autres sont juillet, janvier, septembre, avril, novembre, mai, mars, juin, décembre, août et février. »
    Mark Twain, Pudd'nhead Wilson
    Le temps est consubstantiel au risque. Le risque d'aujourd'hui, c'est la possibilité d'un dommage, ou d'un gain, demain. Le temps s'écoulant, des informations nous parviennent, les incertitudes se résolvent, les risques se répètent et s'accumulent, les opportunités d'action vont et viennent. La gestion des risques est un processus dynamique complexe et fascinant. Elle couvre des sujets très variés, de la gestion de patrimoine des ménages au réchauffement climatique, en passant par les investissements des entreprises, la sécurité alimentaire, la décision médicale, l'assurance, le choix d'un site de stockage pour nos déchets nucléaires, ou l'avenir que nous voulons proposer à nos enfants. Les développements de la théorie économique durant les trente dernières années ont permis à la fois de mieux comprendre les interactions entre risque et temps et de proposer des outils d'aide à la décision. De nombreux Prix Nobel sont associés à ces progrès, dont Kenneth Arrow, Paul Samuelson, James Tobin, Robert Merton, Myron Scholes et Robert Lucas. Nous nous proposons d'illustrer ici quelques-uns de ces développements.

    Âge et gestion de portefeuille

    Commençons par une question : comment prendre en compte l'horizon temporel du décideur dans les choix stratégiques de portefeuille ? Elle concerne le ménage qui cherche à se constituer un capital pour sa retraite, l'entrepreneur qui s'apprête à introduire son entreprise en Bourse ou le gestionnaire de fonds qui remet son résultat à la fin de l'année. Au futur retraité il est traditionnellement conseillé de réduire l'exposition au risque, donc la détention d'actions, au fil du temps. Plus généralement, la prise de risque serait réservée aux agents économiques disposant de temps, de beaucoup de temps. Quels sont les fondements théoriques de cette recommandation ?
    À ma connaissance, Paul Samuelson, en 1963, fut le premier économiste à s'intéresser à cette question. Ainsi va l'histoire : Samuelson proposa un jour un pari sur le lancer d'une pièce parfaitement équilibrée à un de ses collègues du département d'économie du MIT. Ce collègue devait perdre sa mise si la pièce tombait sur face, tandis que Samuelson la triplerait si elle tombait sur pile. Ce collègue refusa l'offre, mais, à la stupéfaction de Samuelson, il indiqua qu'il serait prêt à jouer si on lui offrait la possibilité de parier sur 100 lancers successifs de la pièce. Cette réponse incite à penser qu'un risque indésirable peut devenir désirable s'il est répété de nombreuses fois.
    Appliqué à la gestion de portefeuille, ce raisonnement revient effectivement à réduire la détention d'actions à l'approche de l'âge de la retraite, c'est-à-dire à mesure que les opportunités de prise de risque du futur retraité diminuent. L'argument souvent invoqué est que les investisseurs disposant d'un horizon plus étendu auraient plus de temps pour récupérer leurs pertes transitoires. Mais, comme le souligne Paul Samuelson, cet argument n'a rien de scientifique. En effet, ce n'est pas en acceptant des risques à l'avenir qu'on peut effacer les pertes passées. Une perte est une perte, il faut savoir l'admettre !
    Un autre argument repose sur la loi des grands nombres. Considérons un jeune calculant le rendement annuel moyen de son portefeuille d'actions en fonction de la durée de son placement. En basant nos calculs sur le marché américain des actions au XXe siècle, pour un horizon à un an, il y a 95 chances sur 100 que le rendement soit compris entre – 20 % et + 43 %. Par contre, pour un horizon à vingt ans, le rendement annuel moyen a les mêmes chances de se retrouver entre 0 et 15 %. Par la loi des grands nombres, le rendement annuel moyen des actions va converger vers le rendement espéré de ce groupe d'actifs, à savoir 6,9 %. Cela semblerait démontrer que la répétition des risques permet leur diversification. Mais il s'agit là bien entendu d'une interprétation fallacieuse de cette loi. Ce n'est pas l'addition des risques qui permet la diversification, mais plutôt leur subdivision. Ce qui importe pour le ménage qui désire épargner pour sa retraite, c'est le rendement total et le capital total disponible à 60 ou 65 ans, pas le rendement annuel moyen sur la période d'investissement. Le détenteur d'actions voit le risque sur la valeur finale de son portefeuille s'accumuler avec son horizon temporel. En aucun cas la prise de risque de demain ne permet de diversifier les risques pris aujourd'hui !
    On en déduit que la théorie ne prédit pas de façon univoque le lien entre horizon d'investissement et composition optimale de portefeuille. Les modèles théoriques de finance recommandent pour la plupart de maintenir une part constante de la richesse investie en actions. Lorsque les rendements des actions sont indépendants d'une année sur l'autre, le risque s'accumule dans le temps à la même vitesse que les gains espérés, si bien que, du point de vue de l'investisseur « riscophobe », ces deux effets se contrecarrent. En fait, ils s'annulent pour ceux d'entre eux qui ont une aversion au risque constante.

    Diversification temporelle et réserves de stabilisation

    Nous avons considéré plus haut le cas d'un décideur ayant pour objectif de se constituer un capital à une date déterminée. La constitution d'une réserve financière peut aussi être envisagée pour faire face à des risques futurs étalés dans le temps. La notion d'épargne de précaution correspond à l'idée de provisionner une épargne liquide mobilisable durant les périodes de vaches maigres. Elle permet un étalement temporel des efforts pour financer les pertes passées et futures. En fait, il s'agit vraiment d'un mécanisme de partage des risques. En m'engageant à épargner les bonnes années et à désépargner les mauvaises années, j'organise une mutuelle entre le « moi » présent et les « moi » futurs, pour reprendre une terminologie empruntée à la psychologie.
    Exactement comme une mutuelle diversifie les risques individuels, ces réserves de stabilisation/ précaution diversifient les risques temporels du décideur. Du point de vue du consommateur, elles constituent un substitut à l'assurance ; elles réduisent son aversion au risque, ce qui est bon pour le dynamisme de l'économie. Du point de vue de l'industrie d'assurance, elles lui permettent d'augmenter sa capacité et donc de réduire le prix de l'assurance, ce qui a le même effet sur l'économie.

    Marche aléatoire ou prévisible ?

    Un courant de recherche a émergé durant les dix dernières années, principalement aux États-Unis, qui cherche à renverser une hypothèse communément acceptée dans le passé selon laquelle les marchés financiers suivent une marche aléatoire, donc totalement imprévisible. Aucune variable observable, comme un indice économique ou des taches solaires, ne permettrait de prédire l'évolution des marchés, l'idée étant que toute information disponible est instantanément répercutée dans le prix des actifs. C'est cette dernière hypothèse qui a été implicitement utilisée plus haut. Elle conduit à recommander une gestion de portefeuille très simple consistant à maintenir sa composition constante dans le temps, indépendamment de l'âge et des aléas des marchés.
    Deux observations viennent contredire cette hypothèse de marche aléatoire, donc l'optimalité de cette gestion simple. La première se concentre sur la relation entre le price-earning ratio (PER) et le rendement des actions. Le PER est le rapport entre le prix actuel de l'action et le dernier dividende versé. Selon l'hypothèse de marche aléatoire, un PER élevé résulterait simplement de l'anticipation d'une augmentation de la profitabilité future de l'entreprise cotée. La rentabilité espérée pour l'actionnaire s'en trouverait inchangée, la hausse du prix d'achat compensant la hausse future des dividendes. Or Robert Shiller, professeur à Yale, dans un livre célèbre publié en 2000 juste avant l'éclatement de la bulle Internet, a montré qu'il n'en va pas ainsi. La figure ci-dessous permet de comparer le PER des actions américaines de l'année t avec le rendement de ces actions sur les dix années qui suivent, et ce sur la période 1890-1990 (les années avec astérisque correspondent à la période 1890-1900).
    On voit clairement apparaître une corrélation négative entre PER et rendement. Cela indique que le PER est un prédicteur du rendement futur des actions. (Pour information, le PER américain approchait le ratio astronomique de 40 au printemps 2000...).
    La seconde observation est faite par de nombreux auteurs, qui ont montré l'existence d'un phénomène de retour à la moyenne du rendement des actions américaines. En bref, lorsque pendant plusieurs années consécutives les indices de rendement des actions excèdent le taux séculaire de 7 % par an, on peut s'attendre à un faible rendement des actions les années suivantes, et réciproquement.
    Ces deux observations conduisent à recommander une stratégie dynamique de portefeuille beaucoup plus sophistiquée, avec des basculements rapides et fréquents entre actions et obligations en fonction de l'évolution du PER et des rendements passés. L'optimisation de cette stratégie dépend de façon assez complexe des préférences de l'investisseur. Il ne peut être question d'en faire une synthèse dans ce court article. Observons quand même que le phénomène de retour à la moyenne peut justifier que les investisseurs disposant d'un horizon de temps plus étendu prennent plus de risques. En effet, le retour à la moyenne implique qu'une perte à court terme correspond à une espérance de gain futur plus important venant compenser partiellement la perte initiale de l'investisseur long. Le risque des actions à long terme est donc plus faible que dans le cas de la marche aléatoire, ce qui incite l'investisseur long à prendre plus de risques.

    Apprentissage et gestion des risques

    Jusqu'à présent, dans cet article, les caractéristiques du risque étaient supposées parfaitement connues du décideur. La gestion des risques se heurte néanmoins souvent à l'absence d'observations permettant de quantifier les probabilités. En plus des applications en gestion de portefeuille déjà abordées, citons le cas du réchauffement climatique, des OGM, ou du risque de superterrorisme après le 11 septembre. Dans de telles situations, le temps permet d'accumuler les observations et de réviser les probabilités en utilisant la célèbre règle de Bayes. La réduction de l'incertitude qui s'ensuit pose le problème du timing optimal de la prévention du risque. Faut-il par exemple, comme le suggère l'administration Bush, attendre que l'incertitude scientifique relative à l'existence d'un réchauffement climatique se résolve pour agir ? En particulier, faut-il attendre que la fréquence des catastrophes climatiques augmente pour se décider finalement, le cas échéant, à réduire nos émissions de dioxyde de carbone ?
    Pour illustrer la problématique, reprenons le jeu de Samuelson : une même pièce de monnaie est lancée plusieurs fois ; à chaque tirage, on triple votre mise seulement si la pièce tombe sur pile. Mais, à la différence du jeu de Samuelson, nous introduisons maintenant une incertitude qui pèse sur la nature de la pièce utilisée. On peut modéliser cette incertitude en disant que la pièce est tirée aléatoirement d'une urne contenant deux types de pièces en nombres identiques : les bonnes donnent pile en moyenne trois fois sur quatre, les mauvaises une fois seulement. Si on vous offre la possibilité de jouer dix fois avec la même pièce tirée de l'urne, quelle stratégie dynamique devez-vous adopter ?
    La stratégie attentiste, ou prudente, consiste à miser peu sur les premiers tirages en vue d'observer les résultats. Si la pièce tombe souvent sur pile, vous en déduirez qu'il est probable qu'elle est bonne, et vous augmenterez vos mises. Néanmoins, cette stratégie prudente a un coût, puisque vous refusez, ce faisant, de profiter des opportunités de gains initiaux. Elle correspond à la politique actuelle interdisant l'utilisation des OGM sauf à des fins d'expérimentation, ou à la réaction des assureurs et réassureurs de se retirer temporairement du marché de l'assurance du risque terroriste après le 11 septembre. L'existence de ces opportunités non exploitées de création de valeur implique que cette stratégie prudente n'est pas nécessairement optimale.
    Il y a une malédiction associée à ces risques méconnus. Tant que le risque ne se réalise pas, l'agent économique révise rationnellement à la baisse la vraisemblance de ce risque. Mais qu'il se réalise et la victime est aussitôt confrontée à un double défi : il s'agit à la fois de subir le dommage immédiat et de réviser rationnellement à la hausse l'intensité du risque à supporter à l'avenir ; elle est donc doublement pénalisée. C'est cette malédiction spécifique aux risques méconnus qui justifie par anticipation un comportement précautionneux. Elle est bien connue des assureurs qui, par exemple, ont dû faire face après le 11 septembre à la fois à une demande massive d'indemnisation et à une augmentation du risque terroriste sans augmentation immédiate des cotisations perçues.

    Risque et générations futures

    Parmi les risques environnementaux, tels ceux liés au changement climatique, aux OGM ou à la biodiversité, nombreux sont ceux dont les effets les plus néfastes ne se feront sentir au plus tôt que dans cinquante ou cent ans, voire pas avant des milliers d'années pour les déchets nucléaires. Notre problème aujourd'hui consiste à déterminer les sacrifices que nous devrions faire pour prévenir ces risques que les générations futures auront à porter. Traditionnellement, cette question se résout d'elle-même par le niveau de la variable économique essentielle qu'est le taux d'intérêt. Dans le secteur privé, seuls sont entrepris les investissements dont le rendement interne dépasse le coût des fonds propres. Une hausse du taux d'intérêt renchérit le coût des fonds propres, qui réduit à son tour le nombre des investissements profitables. Le secteur public suit la même logique, puisqu'un investissement ne peut y être entrepris que si sa rentabilité, officiellement en tout cas, dépasse le taux d'actualisation de 8 %.
    Très peu de projets de prévention de risques environnementaux à long terme atteignent ce seuil minimum de rentabilité de 8 %. À titre illustratif, considérons une action publique qui permettrait d'éliminer avec certitude un dommage de un milliard d'euros devant se produire dans deux cent cinquante ans si rien n'est fait. Pour que ce projet génère une rentabilité de 8 % par an, il faut que sa mise en œuvre ne nous coûte aujourd'hui pas plus de... 4,4 euros ! Avec un tel taux, on comprend que rien ne doit être entrepris pour réduire l'effet de serre, et qu'il suffit aujourd'hui d'enfouir les déchets nucléaires dans un trou de basse-fosse et de les oublier. Nombreux sont donc ceux qui réclament un changement des règles. Certains vont jusqu'à exiger que soient réalisées toutes les actions de prévention dont le rendement est positif, si faible soit-il. En d'autres termes, il faudrait que l'État soit prêt à dépenser aujourd'hui un euro chaque fois que cet euro permet de réduire un dommage futur d'au moins un euro, quelle que soit la date à laquelle ce dommage sera supporté (taux d'actualisation nul).
    Outre que cela impliquerait des sacrifices colossaux pour les générations présentes, cette proposition se heurte à des contradictions philosophiques autant qu'économiques. Pourquoi les économistes tiennent-ils donc tant à un taux d'actualisation positif ? Prenons comme attitude éthique celle qui consiste à accorder autant d'importance à notre bien-être qu'à celui des générations futures. En d'autres termes, reconnaissons-nous ni plus ni moins dans nos enfants et nos petits-enfants. Supposons par ailleurs que nos économies continuent à croître comme elles l'ont fait depuis plus de deux siècles. En France, le PIB par habitant a doublé tous les quarante ans en moyenne durant cette période. Dans une telle situation, suis-je prêt à sacrifier un euro aujourd'hui pour gagner un euro plus tard ? Bien sûr que non ! Parce que l'utilité marginale de la consommation est décroissante, cet euro supplémentaire à l'avenir n'aura qu'un faible effet sur le bien-être à cette date, alors que l'effet de ce sacrifice sur mon bien-être immédiat est beaucoup plus important. Pour grossir le trait, l'argument peut se résumer ainsi : pourquoi les pauvres générations actuelles devraient-elles faire tant de sacrifices pour des générations futures dont on peut anticiper qu'elles seront bien plus riches que nous ? À beaucoup plus courte échéance, c'est un fait avéré que les ménages dont les perspectives de croissance des revenus sont élevées n'épargnent que faiblement. Pourquoi le feraient-ils, d'ailleurs ?
    Un contre-argument se construit autour de l'incertitude sur le caractère durable de cette croissance économique. Après tout, nos ressources ne sont pas inépuisables, notre société montre quelques signes de fragilité, et certains prédisent la fin de l'Histoire et des progrès scientifiques et techniques qui ont été le moteur de la croissance. De toute évidence, la prise en compte de cette incertitude doit inciter notre société à la prudence, en augmentant nos sacrifices immédiats. Exactement comme les ménages qui augmentent leur épargne lorsque l'évolution de leurs revenus devient plus incertaine.
    Je milite depuis plusieurs années auprès du Commissariat général du Plan et du ministère de l'Environnement pour une diminution sensible du taux d'actualisation. Jusqu'où faut-il le baisser ? Certainement pas jusqu'à zéro. En fait, la réponse à cette question dépend de l'horizon temporel considéré. Ce problème n'est pas sans lien avec un autre grand chantier de la recherche économique des vingt dernières années, celui de la modélisation de la courbe des taux d'intérêt (yield curve). Le lecteur intéressé par ce sujet, ou par l'ensemble des questions abordées dans ce texte, pourra se reporter à mon livre récent (1).
    Note


    114/01/Jan/200801:51


    stgeorgedragon.jpgDepuis 1980, le Hulbert Financial Digest se pique de suivre les performances des lettres d'information confidentielles proposant d’investir en Bourse. Son scénario favori consiste à imaginer un épargnant qui, chaque année, réinvestirait son portefeuille en répliquant celui de la championne de l’année passée. Début 1982, notre candidat place 50.000 dollars sur les conseils de The Zweig Forecast, qui arbora un gain de 24,2% en 1981 ; puis début 1983, il change son fusil d’épaule, et rejoue son tapis sur On Markets, lauréate en 1982 avec une marge de 85,1% ! En 1988, il filera Puetz Investment Report, qui brilla en 1987 avec 663,7% ! Las, notre homme a toujours un coup de retard. Il dépérit, au rythme infernal d’une perte annualisée de 31,4% : fin décembre 2002, son capital n’équivaut plus qu’à 18,27 dollars
    1 ! Tel qui réussit une année, faillit les suivantes. La main passe. On ne bat pas durablement le Marché.
    L’issue de cette traque surprend peu ; les scores flatteurs d’une année, qui peuvent tenir du coup de Bourse, ne font pas souvent long feu. Ils peinent à être revus d’un bilan sur l’autre et se consument toujours sur des perspectives au long cours. Ainsi, l’opinion hautement éclairée, chèrement payée, des éditeurs de lettres d’information se heurte-t-elle à la réalité, incommode, qui nous rappelle que le confidentiel de ce commerce vaut surtout par ses résultats. A côté, notre épargnant actif aurait eu meilleur compte à singer l’indice large S&P 500 : durant la même période, celui-ci annualisa un gain de 9,84% ! Alors, on inventa les trackers, et une large palette d’outils financiers, regroupés sous la bannière de la gestion indicielle, consistant à maintenir un portefeuille dont la valeur reproduit la performance globale de l’indice de référence. Mais l’homme est ainsi fait qu’il ne se contente pas de demi-mesures, de gains racornis par les frais de transaction, assuré qu’il existe quelque part un gestionnaire suffisamment sincère et talentueux pour relever le défi. En 1980, le magazine Financial World, fit connaître le résultat de 132 conseils émanant de vingt analystes de haut vol parmi les mieux payés et les plus réputés de leur profession : le rendement moyen de ce portefeuille fut de 9,35% 2, quelque cinq points de moins que le S&P 500. La fleur des pois 3 n’était pas encore éclose, ni près de l'être !

    B
    attre le Marché ! Toutes les études aboutissent à des résultats remarquablement uniformes, de longue date. Depuis Alfred Cowles, qui s’échina un demi-siècle à démontrer la supériorité du Marché sur les praticiens, cette croyance en la chose possible motorise toutes sortes de services financiers ; quelques survivants émergent, petitement comptés, à la réussite éphémère. En 1968 par exemple, le fonds de Frederick Mates surpassa tous les autres, engrangeant 153% sur l'année, puis fut englouti dans le marché baissier des années qui suivirent 4 : fin 1974, il avait perdu 93% de sa valeur ! Tant d’obstacles, tant de détours pour n’arriver nulle part, tant de génie à la merci de la première infortune : quand il ne brise pas, le Marché résiste, inexpugnable ! Les chiffres sont intraitables, où que l’on regarde. En 1998, sur 7700 mutual funds gérant environ 5500 milliards de dollars, 95% n’arrivèrent pas à battre le Marché 5, sans que l’on puisse attribuer avec certitude quelque talent aux gérants qui le surpassèrent, quoique la rémunération de tous fût assurée. Fin 2001, la performance moyenne des fonds investis en actions fut inférieure de deux points à l’indice S&P 500, sur des périodes de dix à vingt ans 6. La cause paraît assez entendue, mais l’aventure continue. Car les vendeurs de panacées vivent toujours aux dépens de ceux qui les écoutent, salaires et charges compris.

    Q
    u’en est-il aujourd’hui ? En 2007, les meilleurs OPCVM ébouriffèrent, notamment ceux dérivant d'actions chinoises. La palme revint au produit Saint-Honoré Chinagora, qui afficha une progression de 117,40% sur l’exercice, supérieure à celle de l’indice composite Shanghai Index qui se contenta d’un gain de 99,66% ; mais les seize autres SICAV de la catégorie firent moins bien. Au Japon, le Nikkei connut une année horrifique, en recul de plus de 11% ; mais l’écrasante majorité (158/162) des SICAV en actions nippones affichèrent des scores pires encore ! En Allemagne, tous les fonds (15/15) échouèrent contre un DAX euphorique (+22,29%), tandis qu’un seul (1/48) déborda le FTSE à Londres (+3,79%). Enfin, 20% seulement des SICAV en actions américaines (25/312) vainquirent l'indice large S&P 500 (+3,62%). Au total, ce sont presque 95% de ces standards d'épargne boursière (524/555) qui sous-performèrent leur indice en 2007 7 ! Quant à l’hexagone, l’Association Française de la Gestion financière, qui pèse 1450 milliards d’euros en OPCVM, annonça, en avril 2007, qu’après huit années d’existence son indice FCPE 8 Actions France obtenait un gain annualisé de 5,5% contre 4,3% pour le CAC 40 9, oubliant que l’indice SBF 250, plus large et plus représentatif, avait quant à lui produit un gain annualisé du même ordre (5,5%). Bah, on faisait aussi bien, ce qui n’était pas si mal !
    C’est à l'aube des années 1950, que les universitaires s’éveillèrent aux Marchés financiers, après qu’on eut exhumé les travaux de Louis Bachelier qui, un demi-siècle plus tôt, avait proposé une forme probabiliste des variations boursières, celle de la courbe en clocheLa courbe en cloche sonne Wall Street

    (…) Au début du XXe siècle, Louis Bachelier, un jeune mathématicien français qui étudiait les variations de prix des bons du Trésor, nota que celles-ci se dispersaient avec régularité autour d’une occurrence centrale. L’histogramme qu’il traça prit la forme de la fameuse courbe de Gauss-Laplace, dont le contour est celui d’une cloche renversée. Il postula que les cours baissaient ou montaient à égale probabilité, tels un dé qui roule. Ce modèle, dit de « marche aléatoire », dormira un demi-siècle avant d'être exhumé par Paul Samuelson en 1954. La science du risque s'en empara, et ne manqua pas d'en rajouter (…)
    . Paul Samuelson associera ces variations de prix à un flux d’informations arrivant au Marché de manière aléatoire ; Eugène Fama parachèvera la théorie de l’efficience informationnelle ; d’autres, aussi fameux, seront de cette course aux armements. A partir des années 1970, les choses iront bon train, notamment sur la mathématisation du risque. Aujourd’hui encore, les débats sont vifs : cependant, les résultats ne sont pas probants, et l'imprévisibilité radicale des cours semble l'emporter à chaque fois. Les présents relevés montrent assez que de longue date, une gestion active n'a jamais paru à même d'assurer, sinon à la marge, une performance supérieure au Marché, à l'image de ces day-traders, spéculateurs d'un jour, qui, selon Merrill Lynch, subiraient des pertes dans 85% des cas
    10 ; certes, Warren Buffet, l'oracle d'Omaha toujours pris en exemple, surpasse le commun : mais nul ne peut si souvent prendre un contrôle suffisant des sociétés pour mieux peser sur leur gestion ! Bref, tout le monde s’active ; hormis quelques météores, personne ne réussit. Si les Marchés sont imprévisibles, il n’y a rien à faire.

    L
    es performances passées ne présumant jamais de celles à venir, c’est un art bien difficile que de dénicher le gérant de fonds avant ses exploits. Après, c’est souvent trop tard. Car aucune stratégie avérée n’a été à ce jour dévoilée ; mieux même, aucune ne pourrait l’être qui ne fût immédiatement condamnée par le Marché, et son avantage spéculatif anéanti. Il faut s’y résoudre : tant qu’à ne pas battre le marché, tâchons de faire au moins aussi bien, puisque généralement il nous devance.

    (1) Fundadvice.com, le 23/02/2003 - « Chasing performance »
    (2) Etude relatée dans Orientationfinance.com ;
    (3) Fleur des pois : personne recherchée pour ses agréments, le nec plus ultra de ses charmes
    (4) Time, le 03/01/1969 - « Checked Mates »
    (5) Jacques Nikonoff (1999) - « La comédie des fonds de pension »
    (6) Burton Malkiel (Edition 2005) - « Une marche au hasard à travers la Bourse »
    Performance totale (en %) au 31 décembre 2001 – Moyenne des fonds en actions : sur 10 ans (10,98), sur 15 ans (11,95), sur 20 ans (13,42) – Indice S&P 500 : sur 10 ans (12,94), sur 15 ans (13,74), sur 20 ans (15,24). Source : Lipper Analytical, Wiltshire Associates, Standard & Poor’s et The Vanguard Group.
    (7) Source Boursorama – Evaluation au 04/01/2008 par Morningstar
    (8) Fonds Commun de Placement Entreprise
    (9) Bonnes performances des FCPE pour l’année 2006 (Indice RH)
    (10) Roland Gillet, Ariane Szafarz (2004) - « L’efficience informationnelle des Marchés »



    Illustration
    : Saint George terrassant le dragon


    • Share0


    1 commentaire:

    1. PRAGMATIC PLAY CASINO (New Orleans, LA) - Mapyro
      Find all 김제 출장샵 information and 남원 출장샵 best deals 영주 출장샵 of PRAGMATIC PLAY CASINO 계룡 출장샵 in New Orleans, LA. 구미 출장샵

      RépondreSupprimer